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L’imagerie cérébrale confirme que la pratique musicale influence l’anatomie et le fonctionnement du cerveau. Des scientifiques en France et aux États-Unis s’attellent à prendre la mesure des similitudes entre musique et langage parlé. De quoi envisager grâce à la musique, des moyens d’améliorer l’apprentissage des langues étrangères par les enfants ?
Maxence Layet
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La fillette assise par terre feuilletait un livre d’images ». Les mots sont prononcés d’une voix claire, douce et intelligible. Parfois le mot « images » sonne faux. La dissonance, presque perceptible, a été fabriquée de toutes pièces, par informatique. Ces paroles extraites d’un livre d’enfants et plus ou moins retouchées par ordinateur composent l’une des 120 phrases enregistrées par les chercheurs de l’Institut des Neurosciences Cognitives de la Méditerranée (INCM), au CNRS de Marseille. Leur objectif ? Tester les différences de perception auditive entre musiciens et non musiciens… Et vérifier ainsi comment la pratique et l’expertise musicale facilite le traitement du langage par le cerveau. « Notre travail porte sur la perception du langage, car pour comprendre le sens d’un mot, il faut d’abord l’entendre, rappelle Mireille Besson, directrice de recherche au sein de l’équipe Langage, Musique et Motricité de l’INCM. L’Imagerie par Résonance Magnétique fonctionnelle nous a appris que l’apprentissage musical favorise le développement de certaines régions du cerveau. Des structures comme le corps calleux – qui relie les deux hémisphères du cerveau – ou le planum temporal s’avèrent plus grandes chez les musiciens adultes que chez les non musiciens. Mais ces zones ne sont pas réservées au traitement de la musique. Il existe de nombreux recoupements, des zones communes, entre les aires cérébrales impliquées dans le traitement du langage et celles du traitement de la musique. » Par ailleurs, dans plusieurs pays, des chercheurs ont aussi montré un effet positif de l’apprentissage de la musique sur d’autres domaines cognitifs. Comme les mathématiques, le raisonnement symbolique ou temporel, les capacités visio-spatiales, la mémoire verbale et l’intelligence générale. Ce sont des corrélations connues… Mais jusque-là sans hypothèses précises sur les causes. « Puisque les musiciens ont développé leur « oreille musicale », poursuit la scientifique, c’est-à-dire les zones du cerveau qui interviennent dans la perception et l’identification de n’importe quel signal sonore – qu’il s’agisse de notes de musiques et du langage parlé – l’oreille des musiciens devrait non seulement être meilleure pour détecter les plus infimes fausses notes de la musique, mais aussi celles de la parole. C’est un raisonnement logique, et nos résultats le confirment, aussi bien chez l’adulte que chez l’enfant. » D’abord étudiée il y a cinq ou six ans, en 2000-2001, auprès de 18 adultes, dont 9 professionnels de la musique issus des hautes classes du conservatoire ou travaillant à l’Opéra de Marseille, l’expérience a été reconduite avec une vingtaine d’enfants de 8 ans, dont la moitié pratiquait un instrument depuis 3 ou 4 ans. Le protocole établi par l’équipe du CNRS de Marseille reposait sur une série de tests d’audition, menée à partir d’un échantillon prédéterminé de mélodies et de phrases.
La pratique musicale peut devenir un outil thérapeutique qui pourra, par exemple, corriger certains troubles du langage comme la dyslexie.
Musicien contre non musicien
Une première sélection de 40 mélodies issues du répertoire enfantin (Frère Jacques, une souris verte, etc.) a été trafiquée par ordinateur afin de terminer soit par la note juste, soit par une note augmentée d’un cinquième de ton – une modification presque indécelable – ou carrément d’un demi-ton. Une fausse note que tout le monde peut alors entendre, musicien ou non musicien. Les chercheurs ont fait la même chose avec 40 phrases tirées de livres d’enfants et prononcées soit correctement, soit avec une modification relativement faible (35 %), ou assez forte (120 %) de la tonalité du mot, c’est-à-dire sa hauteur en terme musical. Aboutissant à un répertoire total de 120 phrases et de 120 mélodies à écouter et évaluer. « Chez l’adulte comme chez l’enfant, quand la dernière note est juste ou très fausse, reprend la directrice de recherche, les résultats montrent qu’il n’y a pas de différences entre les musiciens et les non musiciens. En revanche, lorsque l’incongruité – c’est-à-dire la fausse note – est faible, les adultes et enfants non musiciens la perçoivent beaucoup moins souvent que les musiciens. » En complément de ces observations, un électroencéphalogramme enregistrait en parallèle l’activité cérébrale des participants. « Cela nous a donné une mesure objective de ce qui se passait dans leur cerveau, poursuit Mireille Besson. Lorsque la phrase sonne faux, chez les adultes musiciens par exemple, un pic apparaît presque immédiatement, entre 50 et 200 millisecondes. Chez les enfants qui font de la musique depuis 4 ans, c’est un peu plus tardif mais on retrouve le même effet. » Pour l’équipe marseillaise, l’explication de ces résultats tiendrait aux similitudes de traitement mis en œuvre dans le cerveau par le langage parlé et la musique. Similitudes que l’on retrouve d’ailleurs dans les paramètres acoustiques caractérisant le signal de parole et le signal musical : la hauteur, le rythme, le timbre et l’intensité (cf. encadré Prosodie la musique des mots). « C’est pourquoi nous pensons que la perception du langage et de la musique repose sur des structures communes, poursuit mon interlocutrice. Le traitement de la hauteur du son par exemple, initie un même processus cérébral, que l’on entende de la musique ou un discours. Même pour la durée, l’ordre de la séquence, etc. Notre hypothèse est que si on améliore le fonctionnement de ces mécanismes, parce que l’on est musicien par exemple, on devrait influencer la perception et la compréhension du langage. » Une position qui n’est pas du goût de tout le monde, notamment des tenants d’une irréductible spécificité des processus relatifs au langage.
Mesurer les transitions rapides
Direction Washington, de l’autre côté de l’Atlantique. Les communications de Nadine Gaab, neuropsychologue au flambant neuf Gabrieli Lab du MIT, faites en novembre 2005 à l’occasion du congrès annuel de la Société des Neurosciences, confortent la thèse des français. Mais à la différence de l’équipe du CNRS, qui étudie la hauteur du son, les américains explorent un autre paramètre : celui des transitions rapides, la reconnaissance du passage d’un son à l’autre. L’une des études, réalisée auprès de dix musiciens et autant de non musiciens, visait à reproduire une suite de 3 notes, de plus en plus rapide. Durant ce test plutôt ludique, les musiciens n’ont pas simplement été meilleurs, avec 85 % de réussite contre un pénible taux de 50 % chez les autres, ils étaient aussi plus réactifs. Les IRMf menées en parallèle ont de plus montré chez les non musiciens une activation plus importante du cerveau que chez les musiciens. Notamment du gyrus frontal inférieur gauche, du gyrus frontal moyen bilatéral et du frontal médian gauche, dans le cingulaire antérieur et la région pariétale inférieure gauche. Des régions souvent impliquées dans la parole… En clair, à tâche auditive identique, le cerveau des musiciens, plus efficace et mieux entraîné, sollicite moins de zones cérébrales et affiche des performances finalement supérieures. Pour Nadine Gaab, « la pratique musicale améliore le traitement chez l’homme des stimuli auditifs qui demande un raisonnement rythmique rapide. Elle pourrait augmenter les compétences phonétiques et auditives essentielles à la lecture et au langage parlé. » Qu’il s’agisse d’enfants en difficulté scolaire ou de personnes âgées qui sentent leur faculté décliner.
À l’école du jardin musicalRêvons un peu. Imaginons en effet une pédagogie musicale adaptée aux enfants. Un soutien à base de stimuli acoustiques susceptibles d’entraîner l’oreille musicale. Et, comme le postule Nadine Gaab, de développer ainsi leurs capacités de perception et d’intelligence linguistique. À l’image par exemple des espoirs placés dans une sonate de Mozart ou les techniques de rééducation orthophonique prônées par Tomatis ? Peut-être. Pour en avoir le cœur net, un thésard de l’INCM a tenté l’expérience, à Marseille, avec deux groupes d’élèves d’une même école primaire. Des enfants de 8 ans, tous non musiciens, droitiers et de niveau scolaire et familial similaires. Les conditions de sélection furent drastiques ! Pendant deux mois, dix élèves ont donc suivi un enseignement musical deux fois par semaine. Une initiation aux notions de notes et d’intervalles effectuée… Sous forme d’activité physique (!), à l’aide d’un tapis musical inventé par Christian Napoléoni de l’association Machin’Art. Durant huit semaines, les enfants ont donc régulièrement piétiné des Do, des Si, des Mi, apprenant à les reconnaître et à les classer selon leur hauteur dans la gamme. Dans le même temps, un autre groupe de dix enfants, dit de « contrôle », s’initiait au dessin, mais avec des techniques fondées sur le mouvement, empruntées au peintre Jackson Pollock. Toujours dans un souci de cohérence vis-à-vis du groupe « jardin musical », très mobile. Avant et après ces périodes d’apprentissage, l’équipe du CNRS a testé leur degré de perception des dissonances sonores faibles ou fortes, à l’aide de sa bibliothèque type de 120 phrases et mélodies à écouter. « Au terme des 8 semaines, il n’y a pas d’effet comportemental notable dans la détection ou non de la justesse du son chez les apprentis musiciens, résume Mireille Besson avec une pointe de déception. Par contre, sur le potentiel évoqué, les tracés du groupe Musique montre une différence significative entre l’avant et l’après. » Une trace absente du groupe Dessin. Encouragée par ces premiers résultats, l’équipe a décidé de retenter l’expérience. Cette fois à plus grande échelle, au Portugal, dans la ville de Porto, avec un groupe de 40 enfants dont la moitié bénéficiera d’un enseignement musical de 6 mois.
Le chant, un instrument aide-mémoire
Le chant offre une combinaison parfaite du langage et de la musique. Les résultats d’une série d’expériences « chantées » par l’INCM de Marseille et l’Université Libre de Bruxelles confirment quelque chose d’assez étonnant : lorsqu’on chante, on apprend mieux. Du moins plus vite que lorsqu’on parle. Effectués en langue française, ces travaux franco-belges s’appuient sur la notion de probabilités transitionnelles, un phénomène linguistique mis en évidence par la professeur de psychologie Jenny Safran. Celle-ci a montré que l’acquisition du langage chez les nourrissons se basait sur des régularités statistiques, appelées probabilités transitionnelles, qui leur permettent de repérer la fréquence des transitions entre les différentes syllabes du langage qu’ils écoutent. Dans « bateau sur l’eau » par exemple, « ba » et « teau » sont plus souvent associés que « sur » et « ba ». Le processus des probabilités transitionnelles serait l’un des mécanismes de base, inconscient, pour segmenter un langage parlé étranger généralement perçu, notamment au début, comme un flux ininterrompu de paroles. Chez un adulte, selon Safran, le temps minimum d’écoute pour identifier les probabilités transitionnelles d’un nouveau langage, pour dissocier les mots entendus, repérer leurs fréquences, s’y familiariser, etc., devait au moins durer 21 minutes. Mais si ces mots sont chantés, mis en musique en associant une note à chaque syllabe, ce temps est réduit de 2/3 : une phase d’écoute de 7 minutes suffit. Comme si le fait de chanter les mots permettait au cerveau de mieux isoler les syllabes, de souligner les frontières entre les mots. Peut-être est-ce pour cela que les enfants chantonnent. Où que l’on récite ses tables de multiplication en chantant. Et que dire alors en ce qui concerne les langues étrangères ? Peut-on imaginer d’améliorer nos capacités d’expression en anglais, en allemand ou en russe par exemple, simplement, par la musique, le chant ou d’autres exercices mélodiques ? Recourir à la pratique musicale comme instrument pour faciliter l’apprentissage des langues étrangères, voilà une vraie martingale pour les instituts de formation. « En travaillant avec des spectres de fréquences très larges, les musiciens augmentent leur capacité auditive, confirme Mireille Besson. Leur oreille musicale devient plus sensible aux variations sonores, donc plus à même de percevoir les paramètres acoustiques d’une langue étrangère que les non musiciens. Cet effet positif n’est plus un secret… Nos résultats sont en cours d’analyse. » ♦
Les IRM réalisées sous la direction de Nadine Gaab ont montré que lors de transitions sonores rapides, l’activation cérébrale est plus importante chez les non musiciens que chez les musiciens, notamment dans le frontal inférieur gauche, le gyrus frontal moyen bilatéral et le frontal médian gauche, le cingulaire antérieur et la région pariétale inférieure gauche. À tache égale, le cerveau des musiciens fait moins d’efforts, pour une performance supérieure.
Langage, Musique et Motricité, Institut des Neurosciences Cognitives de la Méditerranée, CNRS Marseille. http://www.incm.cnrs-mrs.fr/equipel2m.php
Musician children detect pitch violations in both music and language better than non musician children, Cyrille Magne, Daniele Schön, Mireille Besson (2005), Journal of Cognitive Neuroscience, in press
The music of speech : Electrophysiological study of pitch perception in language and music, Cyrille Magne, Daniele Schön, Mireille Besson (2004), Psychophysiolog, 41 341-349
Gabrieli Laboratory, Brain and Cognitive Sciences, MIT http://web.mit.edu/gabrieli-lab/home.htm
Neural correlates of rapid spectro-temporal processing in musicians and non-musicians, Nadine Gaab & al., Annals of the New York Academy of Sciences, à paraître.