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Pourquoi le piano est-il le roi des instruments ?

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Pourquoi le piano est-il le roi des instruments ?
© Getty – Nitat Termmee

Encombrant, cher à l’achat, impossible à transporter, susceptible de vous fâcher à vie avec vos voisins, et pourtant, dans le royaume des musiciens amateurs, le piano règne en maître. Pourquoi en est-il ainsi ? Enquête.

« Je ne manquerai pas une leçon, tellement je suis bien après ma demi-heure hebdomadaire ! », témoigne Marie-Paul. Faire du piano est « un régal », s’accordent Nelly et Sophie. En prenant des cours, Pascale « réalise un rêve d’enfant », tandis que Sébastien y retrouve «  la passion de sa jeunesse ». Notre enquête sur les réseaux sociaux reflète ce qu’affirment les sondages : quel que soit votre âge, le piano vous passionne. Premier instrument dans la pratique amateur en France en 1999 selon le ministère de la Culture, le piano occupe toujours la tête du classement 20 ans plus tard : selon l’Ifop pour Piano Lab, sur 2000 Français de plus de 18 ans, plus d’un tiers fait du piano, contre la flûte (26%) ou la guitare (21%). Pourquoi donc un tel succès ?

« C’est l’eau du chameau pour traverser le désert, nous répond Gérard Bekerman. Économiste confirmé, il a fait toute sa carrière dans les assurances sans jamais délaisser sa pratique du piano, découvert à l’âge de 5 ans :  « La musique a été un réconfort. Une discipline d’exigence, de rigueur, d’organisation, d’analyse, ce qui a été tellement porteur y compris dans ma vie professionnelle. » Gérard Bekerman est également président et fondateur du Concours international des Grands amateurs de Piano, qui se tient à Paris tous les ans depuis 1989 « pour permettre aux autres de faire comme moi : de dialoguer, de communier, de partager [la passion pour cet] instrument d’aisance par excellence qui permet de se faire plaisir avec peu de choses. »

 

Gratifiant sans une longue pratique

C’est la première clé de l’énigme : contrairement à sa réputation d’instrument difficile – il faut coordonner deux mains sur le clavier et le déchiffrage de deux systèmes en parallèle, plus éventuellement la pédale, mais il suffit d’un petit niveau pour éprouver la joie de faire de la musique au piano, ce qui en fait un instrument bien plus accessible et musicalement gratifiant que, par exemple, le violon. « Mon plus grand plaisir, c’est d’entendre sous mes doigts une mélodie qui correspond à ce que je connais ! », raconte ainsi Marie-Paul, choriste et mélomane, qui a débuté le piano à l’âge de 66 ans.

Il y a également son répertoire colossal de par sa variété et son étendue sur pratiquement toute la musique occidentale, mais aussi sur le jazz et les musiques actuelles : « Il y en a d’Elton John à Snoop Dogg, rappelle Gérard Bekerman, sans oublier d’innombrables pièces spécialement destinées aux débutants, comme les 24 variations et 14 petites pièces dédiées aux petits pianistes capables d’exécuter le thème avec un doigt de Borodin, ou les œuvres d’Erik Satie, accessibles même si on a pas une longue pratique de l’instrument. »

Bon pour le cerveau et le cœur

Cela crée des étincelles dans votre cerveau : jouer du piano stimule ses différentes zones de façon synchrone et vous inonde d’un sentiment de bien-être, nous expliquent les neurosciences. « Apprendre à jouer d’un instrument comme le piano est une tâche complexe : cela nécessite qu’un musicien lise une partition, génère des mouvements et surveille les retours auditifs et tactiles pour ajuster ses actions », explique Karin Petrini de l’université de Bath, et co-signataire d’une étude sur les bénéfices de la pratique du piano sur les capacités cognitives des séniors. Les résultats de notre étude suggèrent que cela a un impact positif significatif sur la façon dont le cerveau traite les informations audiovisuelles, même à l’âge adulte, lorsque la plasticité cérébrale est réduite. » Si les images cérébrales démontrent une amélioration des connexions neuronales, les participants témoignent d’une meilleure humeur, moins d’anxiété et de dépression, et cela au bout de seulement 11 semaines, rapporte la scientifique.

La principale motivation des élèves adultes, c’est le coté « déconnexion », confirme Marie Grégoire-Devic, professeure de piano dans une école de musique privée. « C’est tellement « difficile » qu’ils ne pensent pas à autre chose, à leur boulot, à leur vie, à leurs tracas du quotidien. C’est plus le plaisir du travail qui les absorbe que la musique en elle-même. Et d’apprendre quelque chose de nouveau, ils trouvent cela gratifiant », précise-t-elle.

Françoise l’a constaté par elle-même : ayant fait du piano pendant sa jeunesse, elle avait arrêté quand elle a eu ses enfants. A presque 70 ans, suite au Covid qui lui a laissé « d’importants troubles de concentration et de mémoire et je passe sur la dépression et tout le reste,» elle s’est posée la question de savoir comment sinon récupérer tout, au moins limiter la casse. « L’idée de me remettre au piano est venue tout naturellement. Mémoire, concentration, faire jouer des notes différentes à deux mains en même temps et tout ça en se faisant plaisir, bingo, je reprends des cours une fois par semaine, je joue au moins une heure par jour. La meilleure rééducation en ce qui me concerne, malgré les trois séances d’orthophonie par semaine. »

Merci qui ? Merci la dopamine, ce neurotransmetteur du bonheur. « Je devrais remercier le Covid ! » plaisante-t-elle.

L’âge ne compte pas, bien au contraire

Après 20 ans de pause, Sébastien, professeur de droit a l’université, a repris le piano, « la passion exclusive de mon enfance et de l’adolescencece qui fut un magnifique bonheur et une retrouvaille immédiate. » Elisabeth, professeure d’EPS à la retraite, a attendu 46 ans après avoir pris quelques cours dans sa jeunesse, et l’a vécu comme « un épanouissement. » Nathalie a débuté à 58 ans et « adore ça » et pour Sophie, débutante de 64 ans, c’est « un régal. »

Viviane s’est lancée alors qu’elle était mère au foyer, et ayant déjà des acquis depuis son enfance, à poussé sa pratique jusqu’à devenir professeure de piano elle-même, uniquement motivée par des morceaux difficiles : « J’ai l’impression de parcourir au sommet de l’Everest quand je réussis à achever une œuvre difficile. »

L’âge ne compte pas, bien au contraire, rassure Marie Grégoire-Devic. « J’ai eu une dame âgée, qui a pris des cours à plus de 80 ans, après avoir joué dans sa jeunesse. Elle n’avait aucun problème technique, était très souple, son jeu est resté très articulé. Ce n’était pas toujours très précis, elle avait des problèmes de mémoire, mais au niveau de l’articulation, elle n’avait rien perdu. » Et si pour les personnes qui débutent plus âgées, c’est un peu plus difficile, c’est au professeur de s’adapter, nuance la professeure. Parce que l’enjeu vaut la chandelle, et les scientifiques le confirment : la pratique d’un instrument est un excellent vecteur de plasticité cérébrale, de la création de nouveaux neurones, car elle stimule simultanément différentes zones dans le cerveau.

« La musique a l’avantage de stimuler le cortex moteur, le cortex visuel, le cortex auditif, le cortex frontal, le cervelet… On va avoir une plasticité qui sera assez généralisée, qui peut être relancée à n’importe quel âge », explique Emmanuel Bigand, professeur de psychologie cognitive à l’université de Dijon. C’est un feu d’artifice, une symphonie neuronale, comme notre cerveau aime bien être sollicité de la sorte, cela l’aide à mieux vieillir, conclut le chercheur.

Excellent remède contre la solitude

Le piano est le mieux disposé à l’écoute et au partage, rebondit Gérard Bekerman. « Dans un grand nombre de familles, le piano est un instrument familial, un meuble essentiel », qui donne à la pratique musicale une dimension sociale, malgré le fait qu’il s’agisse d’un instrument solitaire par définition. « Très souvent les parents ou les grands-parents prennent des cours en même temps que leurs enfants ou petits-enfants. Cela aide à passer le cap et crée une activité partagée au sein de la famille et motive beaucoup les enfants », raconte Marie Grégoire-Devic. D’autant plus qu’une pratique musicale d’ensemble procure une meilleure estime de soi et renforce le sentiment de compétence, meilleur remède contre l’isolement et la solitude, nous disent les chercheurs.

Et même si les élèves adultes ont souvent beaucoup d’appréhension pour se produire en public, témoigne Marie Grégoire-Devic, leur pratique du piano leur donne un objectif à atteindre et une raison de sortir de leur zone de confort, que ce soit à travers des petits concerts entre amis ou des voyages et sorties autour des concerts et des festivals.

C’est ce qui fait le succès du Concours international des Grands amateurs de Piano, nous dit son président Gérard Bekerman. Jardiniers, cadres, étudiants, femmes au foyer, avocats ou médecins, ils sont nombreux à vouloir se glisser, une fois dans leur vie, dans la peau d’un concertiste professionnel : « De se fixer une échéance, de préparer un programme, de monter sur scène et d’affronter le public et le jury pour partager leurs émotions, leurs talents, leur vie musicale de pianiste avec ceux qui sont souvent dans la même situation qu’eux.» Une preuve de plus que la musique est un puissant liant social, et le piano, un de ses meilleurs vecteurs.