Source http://www.mus-alpha.com Langage_et_Pratiques_no_56-textes page 53
Lise Jeanbourquin
Le professeur de musique partage sa passion lors de leçons individuelles ou collectives. L’environnement et le climat d’apprentissage de la musique doit permettre à chaque élève de s’épanouir avec son instrument, qu’importe son âge, ses facilités ou ses difficultés. Le rôle du professeur est de s’adapter à chacun afin de le mener à une pratique enrichissante et ressourçante de son instrument. Force est de constater que les difficultés rencontrées par un élève dyslexique démunissent beaucoup d’entre nous et que les adaptations ne nous apparaissent pas toujours de manière évidente. Alléger le support visuel, simplifier certains symboles musicaux, stimuler la mémoire auditive avec des jeux d’improvisation ou encore permettre à l’élève d’exprimer sa créativité par de la composition, sont de petits outils bien faciles à appliquer au quotidien
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Dans le cadre de mes études, j’ai tenu à faire mon mémoire sur les adaptations que le professeur de musique peut expérimenter dans sa pratique avec les élèves dyslexiques, car je me suis bien souvent sentie démunie face à la difficulté que rencontrait l’un ou l’autre de mes élèves, notamment lors de la lecture des partitions. La dyslexie est bien connue dans le monde scolaire: tout le monde semble avoir été informé, de l’enseignant aux parents, en passant par les professeurs d’appui ou autre intervenant dans l’apprentissage de l’élève.
La situation n’est pas si claire pour le professeur de musique qui n’est que rarement au courant de la présence d’une éventuelle dyslexie et qui doit par conséquent, bien souvent, observer et questionner l’élève ou les parents. Cette démarche n’est pas forcément appliquée et bon nombre d’élèves sont mal heureusement ainsi qualifiés de « pas doués en musique » car ils ne rentrent pas dans le « moule » habituel. Malheureusement, la notion de dyslexie est bien souvent oubliée dans le programme de formation pédagogique des professeurs de musique, c’est pourquoi j’ai voulu rassembler des outils qui, je l’espère, pourront aider les enseignants curieux de développer leurs approches et ainsi, d’apporter aux apprentis-musiciens souffrant de dyslexie le soutien qu’ils méritent. Je souhaite aussi profiter de l’occasion qui m’est donnée dans cette revue pour ouvrir un peu la porte des classes de musique aux logopédistes et peut-être encourager des collaborations entre professionnels. Commençons par regarder ce que la lecture musicale amène comme difficultés.
1. La lecture musicale – un nouveau code
La lecture d’une partition de musique implique la compréhension de plusieurs terminologies, symboles, chiffrages ou abréviations. A titre d’exemple, voici un segment de partition que pourrait rencontrer un élève lors de l’interprétation d’une œuvre :
Dans un premier lieu, on y trouve des dessins arrondis ou plus angulaires comme la clef de sol que nous trouvons en début de portée. Elle nous indique « l’alphabet » que nous allons utiliser pour cette partition. Lire une clef de mande un apprentissage de plus ou moins longue haleine. A noter que pour les élèves pianistes débutants, la tâche sera double, car ils doivent impérativement maitriser la clef de sol (pour la main droite) et la clef de fa (pour la main gauche). Pour certains instruments comme le violoncelle ou le basson, l’exercice est également complexe car la clef d’ut peut s’intercaler entre deux passages en clef de fa. Un violoniste dyslexique qui a la maitrise de la clef de sol et qui joue de temps à autre de l’alto en clef d’ut sera ennuyé et devra déployer une concentration supplémentaire.
L’armure, à savoir la série de dièses illustrée à côté de la clef de sol, n’est pas forcément destinée à un élève débutant mais elle ne représente pas plus que des dessins angulaires, semblables au jeu de morpion. Cette information primordiale est placée en début de portée et agit sur toutes les notes de la partition. Une mémoire aiguisée et une bonne écoute seront donc indispensables à la pratique musicale.
Sur une partition, on retrouvera également plusieurs formes de textes : un titre, un sous-titre, le nom d’un compositeur, une indication de tempo, de nuance, de caractère. Bien souvent, on rencontrera des mots italiens ! Ce sont des mots qui ne font pas référence aux mots connus de la langue française que nos élèves apprennent à l’école. La lecture de ces mots prendra plus de temps et leur compréhension ne sera pour ainsi dire jamais vraiment acquise.
Pour faciliter l’intégration d’un terme, on peut utiliser la visualisation. Difficile néanmoins d’imager des mots comme molto più ou encore allegretto. Sans parler des mots dont la définition sera différente en français comme piano. Et la tâche ne s’arrête pas là. Bien souvent, les compositeurs et éditeurs utilisent des lettres pour résumer le mot : p pour piano, f pour forte, etc. Il n’est jamais évident de comprendre ces abréviations lors de la lecture musicale durant son apprentissage.
« Finalement, la partition pour moi c’est juste des lignes et des boules », me dit un jour une élève dyslexique âgée de huit ans. Elle n’a pas tort ! Observons, par exemple, un symbole qui se confond fréquemment: le point. Tantôt valeur de durée (qui change en fonction de la note qui le précède), tantôt une articulation, s’il est placé sur la tête de la note… de quoi en perdre la boule !
Enfin, notons au passage quelques difficultés liées à la direction des hampes : tantôt vers le haut, tantôt vers le bas. Les double-croches ont toujours la même valeur, que les hampes soient tournées vers le haut ou vers le bas, sauf que le dessin est différent…
Tout ce qui nous parait donc évident est sujet de réflexion pour les élèves atteints de dyslexie. L’exemple que je vous donne avec cette illustration esttrès basique. Imaginez maintenant la lecture d’un duo où deux portées sont écrites sur la même partition, d’une œuvre où deux voix se mélangent sur la même portée (en chant par exemple), une chanson où les paroles s’entremêlent de texte musical. Sans parler d’œuvre contemporaine avec des sons polyphoniques, « flutterzunge», quart de tons, rythme spéciaux, etc.!
A la lecture d’une partition, nos yeux lisent tout d’abord la note. L’information transmise au cerveau, il faudra appliquer le bon doigté en se positionnant correctement sur l’instrument. Les paramètres physiques suivront, tels que la position des lèvres, la respiration et le soutien, l’impact de la langue (pour les instruments à vent). S’ensuit une écoute de la production sonore et de son analyse. Jouer une note prend peu de temps mais requiert une grande concentration et beaucoup d’attention chez la plupart de nos élèves avant que certains réflexes ne s’installent. Pour un élève souffrant de dyslexie, cela demande énormément d’énergie et entraine inévitablement une fatigue qui peut parfois nous surprendre, voire nous paraitre exagérée.
1 Effet musical que les souffleurs peuvent produire à l’aide de leur langue.
2. Observer – Comment percevoir une difficulté liée à la dyslexie chez un élève ?
Dans la pratique, plusieurs indices peuvent nous indiquer que l’élève souffre peut-être de dyslexie :
– une difficulté en solfège : lecture de notes et stabilité rythmique;
– des problèmes de lecture à vue 1
– des problèmes de coordination (doigts/langue, main gauche/main droite, doigts/archet, etc.) ;
– des blocages à l’approche de la partition;
– de gros problèmes avec les altérations 2 en cours de partition ou de mémoire des bémols ou dièses;
– de grandes pauses à la fin de chaque ligne;
– des difficultés de concentration;
– une difficulté à considérer tous les éléments musicaux simultanément (attaques, nuances, phrases, etc.)
– un manque d’organisation, un travail irrégulier;
– une différence de vitesse d’apprentissage avec ou sans partition.
1 La lecture à vue est la pratique qui consiste à jouer une partition sans la connaitre, l’analyser, l’étudier ou la travailler préalablement.
2 Une altération est un signe que l’on place avant une note pour nous indiquer si elle est bémolisée (b) ou diésée (#).
3. Comment aider l’apprenti-musicien dyslexique
3.1. Adapter une partition
Les supports de cours se développent beaucoup et de nombreuses éditions rendent l’apprentissage ludique et dynamique. La partition s’égaye avec des illustrations qui foisonnent. En annexe de cet article, nous proposons l’exemple d’une partition telle qu’on pourrait la trouver dans une méthode instrumentale pour les enfants et ci-après, nous mentionnons les adaptations que nous avons apportées au document.
La première astuce pour venir en aide à un élève dyslexique est d’épurer un maximum les partitions en ôtant tout ce qui est superflu (voir l’exemple à la page suivante) : les images, les petits dessins humoristiques, les titres avec des polices spéciales, etc. Il appartient au professeur de faire le tri adéquat en fonction de l’âge et du niveau de l’élève. Par exemple, est-ce qu’il faut considérer que les indications de nuances sont indispensables à la production musicale ?
Pourquoi ne pas jouer sur les atmosphères que l’on souhaite créer, laisser l’élève en inventer ou les reproduire par imitation suite au jeu du professeur ?
Le support pourra ensuite être agrandi, en veillant à limiter le nombre de mesures par ligne. Il vaut mieux partir d’un très grand format, pour aller progressivement vers le plus petit. Il est important d’être attentif à avoir une bonne impression ou une photocopie de qualité pour un bon contraste de noir de manière à être lue avec plus de facilité. Dans la mesure du possible, il faudrait privilégier un format de type « paysage » pour pouvoir étirer le contenu plus facilement. L’utilisation d’un papier de couleur pastel peut également s’avérer efficace.
Par ailleurs, le prochain outil suggéré est à double-tranchant et ne conviendra pas forcément à tous les élèves dyslexiques. Il consiste à attribuer une couleur différente pour chaque note (« do » en vert, « ré » en rouge, etc.). Avec cette astuce, nous rajoutons un code sur un code déjà nouveau. Cela peut égarer ou éclairer, c’est selon… Le document est alors épurée comme on peut le voir dans l’exemple ci-dessous (la partition originale est en annexe de cet article)
:
Ce type d’adaptation n’est pas envisageable jusqu’au terme des études de musique. La démarche doit servir d’aide provisoire pour l’élève pour l’accompagner dans sa quête d’autonomie. Pourquoi ne pas proposer, lorsque l’élève est à l’aise avec son œuvre, de revenir à la partition originale ? Il faut se fixer de petits objectifs réalisables et être inventif pour ne pas susciter de dépendance vis-à-vis de ces aménagements particuliers.
3.2. Adapter la leçon
S’il est important d’adapter le support visuel, la structure de la leçon et l’attention portée sur l’état de concentration de l’élève sont essentiels. Comme la musique requiert une grande dépense d’énergie pour l’élève dyslexique, les exercices préliminaires de centrage l’aideront énormément. Que cela soit avec une courte relaxation, des exercices de visualisation ou de brain gym, le rituel peut être plaisant à instaurer en début de leçon, tant pour l’élève que pour le professeur. Il s’agit d’une prise de contact en toute quiétude, un instant d’écoute ou de partage que l’on oublie parfois, craignant la « perte de temps ».
Par ailleurs, a-t-on réellement toujours besoin d’une partition pour apprendre la musique ? Même si elle se révèle incontournable dans notre pratique, il est possible de s’en éloigner par moments. Les jeux d’improvisation, de questions/réponses musicales, stimulation de l’écoute et du par cœur ou encore mimer, créer, composer. Laissons nos élèves s’exprimer: ils ont tant de choses à dire et se retrouvent muselés par la lecture. Ce goût de liberté ira de pair avec le goût de la musique, et de l’instrument. J’en suis convaincue !
Durant une leçon, il sera important pour l’élève dyslexique d’abandonner le type de consignes englobant plusieurs objectifs. Optez pour les mots-clefs qui représenteront des images d’animaux, de météo, de sentiment. Ainsi la consigne « Pourrais-tu reprendre à la levée de la quinzième mesure en jouant avec beaucoup plus de légèreté ? » deviendra « Reprends ici en mode gazelle».
C’est intéressant et efficace de synthétiser. Il sera tout aussi important pour l’intégration des choses abordées en leçon, de demander à l’élève de résumer en deux ou trois mots-clefs les notions à retenir. De plus, l’énergie fournie par l’élève étant si dense, il serait judicieux de faire des pauses durant le cours. Quelques petites minutes suffisent parfois pour respirer, boire de l’eau, rigoler, etc. Le temps de « non-musique » ne doit pas être considéré comme perdu, Au contraire.
Enfin, il me parait important de relever la problématique liée aux devoirs. Sachant que l’enfant éprouve certainement des difficultés dans le milieu scolaire, il est facile d’imaginer le nombre d’heures consacré aux devoirs. Le travail musical à effectuer à la maison est souvent présenté comme une tâche supplémentaire. Il est donc important de convenir avec l’élève et ses parents d’une charge raisonnable de travail pour rester dans l’objectif réalisable et encourageant. Sûrement que nous devrons parfois revoir nos objectifs à la baisse ou les modifier en fonction de ces élèves. Du point de vue de leur formulation, les devoirs seront annotés dans un carnet de devoirs, idéalement par l’élève lui-même. On essaiera de le faire participer autant que possible sans que cela ne devienne un exercice fastidieux pour lui. Attention : l’important est que l’élève s’y retrouve à la maison, non de gagner un concours d’orthographe. Il a le droit de RES-PI-RER !
4. Conclusion
Je mentionnerais pour terminer une qualité de base essentielle à toute démarche pédagogique avec chacun de nos élèves: s’adapter. Cessons de vouloir faire entrer tous nos élèves dans le même moule. Aider un enfant dyslexique demande du temps, de la persévérance, de la curiosité, de l’écoute et une dose folle de passion pour notre métier. Les encouragements et la valorisation à chaque leçon pour chacun de nos élèves sont indispensables. L’élève dyslexique doit se sentir bien dans son rôle de musicien sans l’étiquette de son diagnostic. Soyons donc délicats dans nos propos. Nous sommes déjà bien patients avec nos élèves mais chaque professeur se doit de chercher et de trouver ses propres astuces. Ce qui marchera pour un élève dyslexique ne fonctionnera peut-être pas avec un autre. Créons un climat de confiance, réduisons le stress des examens en faisant appel si nécessaire à la direction de l’établissement pour différer les évaluations, ou demander un temps supplémentaire pour les examens théoriques. On ne demande pas aux enfants myopes d’aller à l’école sans leurs lunettes, de ce fait, aménageons tout ce qui est possible pour les élèves en difficulté.
Le rôle du professeur de musique est également de soutenir l’élève dans son organisation, d’élaborer avec lui des listes à « cocher » pour le matériel qu’il doit prendre pour un cours, une audition ou un examen. Soyons à l’écoute des besoins de l’élève : une journée qui s’est mal déroulée finira en beautéavec un cours d’improvisation en toute liberté plutôt que l’introduction d’un nouveau doigté.
L’objectif de base pour le professeur de musique est de rendre nos musiciens en herbe autonomes. Les « béquilles » servant à aider les élèves qui souffrent de dyslexie sont certes très utiles, bienvenues et indispensables à un bon apprentissage. Veillons à ne pas rendre nos élèves dépendants. Qui imprimerait un concerto en format paysage, sur du papier bleu pastel, agrandi pour un récital de fin d’études professionnelles ? Chaque élève avance à son rythme et pourra, au fil du temps, se limiter à deux ou trois notes en couleur comme repères pour une partition entière. Nous devons être très attentifs à cela. Bien sûr qu’il est question de lâcher nos attentes, d’accueillir ce qui vient et comment cela advient avec patience et bienveillance. Ce sont là des qualités de base du pédagogue que nous devons appliquer avec chaque élève, dyslexique ou non. Soyons juste conscients que l’enfant peut être en souffrance et que la leçon de musique représente souvent une bulle d’oxygène dans sa semaine.
Pour rendre l’apprentissage harmonieux, communiquons, collaborons. Logopédistes, enseignants, équipe administrative, professeurs de musique, parents et enfants doivent être en réseau pour s’adapter et avancer ensemble. Il s’agit certes d’un idéal qu’il est malheureusement trop rare de côtoyer. Mais avançons !
Lise Jeanbourquin
Elle a obtenu Master en pédagogie musicale à la HEM de Lausanne en 2012. Elle s’est spécialisée dans l’enseignement du basson.
Contact : lise.jeanbourquin@bluewin.ch
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