Source http://m.slate.fr/story/124271/formation-developpement-cerebral-enfants
Assal Habibi — , mis à jour le 02.10.2016 à 10 h 59
Nous avons désormais la preuve que la formation musicale joue sur le développement du cerveau, leurs progrès cognitifs, sociaux et émotionnels.
Il est fascinant d’observer un pianiste en concert, de le voir si facilement transformer les notes de la partition en mouvements précis de ses doigts sur le clavier. En tant que chercheur et pianiste, je sais que la maîtrise de l’instrument réclame non seulement de longues heures de travail, mais aussi une coordination complexe entre différentes régions cérébrales.
Pour jouer de la musique, les zones du cerveau qui contrôlent l’ouïe, la vue et les capacités motrices doivent se lancer dans une symphonie extraordinaire. Le concertiste sait à la fois coordonner les mouvements de ses deux mains et communiquer émotionnellement avec les autres musiciens et avec les auditeurs. Or, la combinaison de tous ces facteurs peut influencer les fonctions cérébrales et l’organisation du cerveau.
Dans notre laboratoire, nous cherchons à comprendre comment la formation musicale reçue pendant l’enfance modèle les fonctions cérébrales pour les aider à mieux traiter les informations auditives dans leur ensemble. Ces fonctions sont en effet essentielles pour le développement des capacités linguistiques et l’apprentissage de la lecture.
Cerveau et formation musicale
Au cours des deux dernières décennies, de nombreux chercheurs ont repéré des différences dans le cerveau et dans le comportement des musiciens.
La formation musicale est associée à de meilleures capacités linguistiques et mathématiques; à des Q.I plus élevés et à une plus grande réussite dans les études. D’autres différences ont été observées entre le cerveau des musiciens et celui des non-musiciens, en rapport avec l‘audition et la gestuelle, entre autres.
Cependant, l’interprétation de ces découvertes reste difficile. Par exemple, les différences observées entre des musiciens et des non-musiciens adultes peuvent résulter d’une formation intensive de plusieurs années ou bien de facteurs biologiques, comme leur patrimoine génétique.
Ou encore, comme c’est souvent le cas dans le débat inné/acquis, les différences observées peuvent résulter des deux facteurs combinés, à la fois environnementaux et biologiques.
Pour mieux comprendre les effets de la formation musicale sur le développement des enfants, il faut débuter l’expérience avant qu’ils commencent leur formation, puis suivre systématiquement leur évolution ensuite, afin de voir comment leur cerveau et leurs comportements évoluent pendant leurs années de formation.
Pour bien faire, il faut intégrer à cette expérience un groupe comparatif, puisque tous les enfants évoluent en grandissant. Idéalement, ce groupe comparatif est composé d’enfants qui se forment à d’autres activités riches en interactions sociales, mais sans rapport avec la musique, comme le sport. La mise en place d’un suivi après les répétitions (ou les entraînements) permet d’observer l’évolution de chaque groupe au fil du temps.
L’impact de la formation musicale sur le développement de l’enfant
En 2012, notre groupe de recherche du Brain and Creativity Institute à l’Université de Californie du Sud a lancé une étude de cinq ans, précisément sur le modèle décrit ci-dessus.
Nous avons étudié les effets de la formation musicale sur 80 enfants de 6 et 7 ans. Nous avons suivi leur évolution, afin d’explorer les conséquences de cette formation sur le développement de leur cerveau, leurs progrès cognitifs, sociaux et émotionnels.
Nous avons débuté cette recherche juste avant le début de la formation musicale d’un premier groupe d’enfants dans l’orchestre des jeunes de Los Angeles. L’accès à cet ensemble est gratuit et prend exemple sur El Sistema, un orchestre Vénézuelien qui a transformé la vie de centaines d’enfants défavorisés.
Au début de notre enquête, le 3e groupe d’enfants s’apprêtait à débuter un programme d’entraînement sportif dans une équipe de foot communautaire, et ne suivait aucune formation musicale.
Le 3e groupe d’enfants –le groupe de comparaison– est issu des écoles publiques et des centres communautaires des mêmes quartiers de Los Angeles. Les trois groupes viennent des mêmes milieux sociaux: ils sont tous issus des minorités ethniques défavorisées de la ville.
Chaque année, nous rencontrons les participants et leur famille pour réaliser des tests, pendant deux ou trois jours. Ces tests nous permettent d’étudier les capacités linguistiques et la mémoire des enfants, leurs capacités musicales, l’évolution de leur langage et le développement général de leur cerveau. Nous interrogeons aussi les familles avec précision.
Au début de l’enquête, alors que les enfants n’avaient pas commencé l’orchestre ni le sport, nous avons établi que les enfants du groupe «musique» étaient semblables aux enfants des deux autres groupes: les mesures de leurs capacités intellectuelles, motrices, musicales et sociales ne présentaient pas de différences notoires.
Comment notre cerveau traite le son
C’est par le conduit auditif que notre oreille est reliée à notre cerveau. Quand nous entendons quelque chose, nos tympans le perçoivent d’abord sous forme de vibrations de molécules d’air. Ces vibrations sont ensuite converties en signal électrique dans l’oreille interne, à destination du cerveau. Enfin, ce signal est envoyé à la zone du cerveau que l’on appelle «cortex auditif», situé sur les côtés du cerveau.
Nous mesurons comment les enfants enregistrent et traitent le son avant de démarrer leur répétition ou leur entraînement sportif, à l’aide d’une technique d’imagerie cérébrale appelée électroencéphalographie (EEG). Cette mesure systématique nous permet de tracer la façon dont leurs circuits neuronaux se développent d’une fois sur l’autre.
Par exemple, nous présentons aux enfants des mélodies qu’ils ne connaissent pas, tout en enregistrant les signaux produits dans leur cerveau, via EEG. Tantôt les mélodies sont identiques, tantôt elles présentent de menues différences de tonalité ou de rythme. Nous demandons alors aux enfants si, selon eux, les mélodies sont semblables ou différentes.
Nous vérifions que les enfants parviennent à détecter si les mélodies sont identiques ou différentes, et quelles réponses cérébrales provoquent ces différences occasionnelles. Cela nous permet de mesurer à quel point le cerveau des enfants s’est adapté à la fréquentation de la mélodie et du rythme. Généralement, quand le cerveau repère un changement de motif inattendu, il produit une réponse spécifique.
Comment la formation musicale développe le cerveau
Au bout de deux ans, le groupe d’enfants qui joue dans un orchestre repère mieux les différences précises entre deux mélodies, tandis que les trois groupes sont capables de dire quand les deux mélodies sont identiques.
Cela indique que les enfants qui font de la musique sont plus attentifs aux mélodies. Leur réponse cérébrale est également plus forte quand la 2e mélodie s’éloigne de la première. Enfin, les circuits neuronaux en charge d’encoder le son dans le cerveau se développent plus rapidement chez eux que chez les enfants des autres groupes.
Cette étude doit se poursuivre encore pendant trois ans. Mais nos résultats intermédiaires sont prometteurs. Ils confirment des découvertes antérieures sur l’impact positif de l’apprentissage musical sur le développement du cerveau.
Nous savons désormais que la formation musicale de l’enfant, même sur une période aussi courte que deux ans, permet d’accélérer le développement de son cerveau et le traitement cérébral du son. Nous pensons que cela pourrait aussi bénéficier à l’acquisition des compétences de langage chez l’enfant, dans la mesure où l’expression et l’écriture s’appuient sur les mêmes zones du cerveau. C’est une information précieuse pour les enfants issus de milieux défavorisés, qui ont plus de mal que les autres à développer les compétences de langage.
Nous souhaitons que nos découvertes permettent non seulement de comprendre les bénéfices de la formation musicale mais nous donne aussi des indications précises sur les vertus de l’éducation musicale dans les communautés les moins favorisées.
Cet article a été initialement publié sur le site de The Conversation